Un smartphone Android sans Google, c’est possible : qu’en pensent les utilisateurs ?


Un smartphone Samsung équipé de /e/. L’éditeur vend des mobiles neufs ou reconditionnés prééquipés de cet OS sous la marque Murena.

Depuis qu’il vit avec un smartphone débarrassé de Google, Pierre éprouve un sentiment de propreté : « Comme s’il n’y avait plus personne qui regardait par-dessus mon épaule. » Développeur d’applications, il est bien placé pour savoir à quel point les services de l’entreprise américaine sont habituellement implantés en profondeur dans les smartphones équipés d’Android, le logiciel central – ou système d’exploitation (OS) – qui monopolise les ventes de smartphones à prix doux.

Mais une telle emprise n’est pas une fatalité : plusieurs équipes de passionnés ont bâti des versions d’Android expurgées de Google, comme Graphene, Lineage ou Calyx. Ainsi qu’une alternative française particulièrement facile d’accès : /e/ et Iodé. Le Monde a interrogé une douzaine d’usagers de ces Android « dégooglisés » qui, comme Pierre, ont le sentiment que leur smartphone se comporte quasiment comme un mobile ordinaire, tout en exigeant de menus efforts occasionnels.

Beaucoup se sont embarqués dans cette aventure par agacement : des publicités les suivaient d’un site à l’autre et leurs positions GPS étaient mémorisées par Google, qui leur en faisait un résumé régulier. Hervé, employé administratif dans la construction, n’apprécie pas que « le capitalisme ait besoin de savoir » où il est et ce qu’il fait « pour faire du fric ». Il n’est d’ailleurs pas le seul à déplorer l’enrichissement considérable de Google « sur le dos de nos données personnelles », soulignant que Google écrase la concurrence et nuit à la diversité.

D’autres ont sauté le pas à la suite d’un scandale : les divulgations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse, la mise au jour du logiciel d’espionnage Pegasus, les fuites de données personnelles issues de Facebook exploitées par Cambridge Analytica… Certains craignent particulièrement la fuite de leur dossier médical vers les assurances. « Je ne parle même pas des risques dans un pays au régime autoritaire », ajoute Emilie, informaticienne, qui avertit que « le nôtre peut le devenir ».

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Des dysfonctionnements au quotidien

Mais la transition vers ces Android « dégooglisés » n’a pas été indolore, tant l’installation du logiciel s’est souvent révélée complexe et stressante. Plusieurs témoins ont d’ailleurs échoué, malgré l’aide bienveillante que l’on peut trouver sur Internet, notamment sur le réseau social Telegram. Et pour ceux qui ont préféré s’épargner la manœuvre en achetant directement un smartphone pré-équipé de Murena ou Iodé, il a tout de même fallu passer quelques heures à sélectionner des applications remplaçant celles des Gafam.

De petits déboires apparaissent à l’usage, les dysfonctionnements du GPS étant les plus fréquents. Le téléphone de Sophie, chargée de mission dans une association, s’éteignait tout seul dans les zones mal couvertes par les antennes téléphoniques. Celui de Matthieu, juriste dans la fonction publique, a perdu brutalement l’organisation de ses dossiers. Les applications bancaires d’Ilario, réceptionniste, ne fonctionnent pas. Tout comme la caméra grand angle de Julien, étudiant en bac pro, ainsi que le paiement à l’intérieur de ses applications – il a même dû pour cela recourir à un ancien smartphone. Beaucoup ont trouvé des solutions de contournement, mais pas Anne-Sophie, enseignante en anglais, dont le téléphone continue de s’éteindre régulièrement sans prévenir.

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Malgré ces déconvenues, la plupart restent satisfaits d’avoir pris leurs distances avec Google sans avoir perdu aucun service essentiel, y compris les usagers dont le niveau en informatique n’était pas très élevé. « J’avais peur de ne pas comprendre, mais ça marche du tonnerre » s’enthousiasme ainsi Hervé. Les geeks soulignent, eux, les avantages de ces versions d’Android plus libres : des mises à jour plus rapides, des applications exclusives comme NewPipe – une version de YouTube débarrassée de la publicité – ainsi qu’une meilleure durabilité, grâce à des mises à jour plus légères et plus étendues dans le temps.

Google revenu par la fenêtre

Mais Google, en réalité, n’a pas entièrement disparu de leur smartphone. Beaucoup ne parviennent pas à se contenter de F-Droid, le magasin d’applications libres, qui n’offre qu’un choix restreint. Ils utilisent en complément le magasin Aurora ou l’App Lounge, dont l’intérêt est de donner accès à l’intégralité du catalogue d’applications de Google. Et cet atout se paye : lorsqu’on télécharge une application à partir de l’un des deux, des informations sont exfiltrées vers l’entreprise américaine. Celles-ci sont toutefois appauvries et partiellement anonymisées, selon le fondateur de /e/, Gaël Duval. Matthieu vit plutôt bien ce compromis :

« Les boutiques comme F-Droid, je les compare aux supérettes bio : on sait qu’on n’y a plus droit au Kinder et au Nutella. Aurora me permet de retrouver ce qui y manque : les apps bancaires, la SNCF, Google Maps… Le choix entre ces magasins me permet de trouver le juste équilibre entre libre et non libre. »

Au cœur des Android dégooglisés, on trouve un autre espion, MicroG, qui a pour mission de remplacer les Google Services, un ensemble de rouages invisibles nécessaires au fonctionnement de nombreuses applications. MicroG a lui aussi été conçu pour laisser s’échapper le minimum d’informations sur ses usagers, et pour les anonymiser autant que possible. Mais là encore, le filtrage n’est pas parfait. « J’ai essayé de me passer de MicroG pendant deux semaines, c’était invivable, témoigne Pierre. Les notifications ne passaient pas, la localisation ne marchait pas, des applications ne démarraient pas… J’ai abandonné, je ne suis pas dans une démarche jusqu’au-boutiste. »

En outre, la plupart des personnes interrogées utilisent peu les fonctions d’anonymisation poussées, comme le blocage des traqueurs, le masquage de l’adresse IP ou la dissimulation de la localisation, car ces fonctions empêchent à trop d’applications de marcher correctement. Les remontées d’informations vers Google se multiplient donc, sans que personne, parmi nos témoins, ne soit en mesure d’évaluer précisément leur ampleur, ni leur degré d’indiscrétion.

« C’est gênant et inquiétant de voir qu’une solution 100 % alternative est si compliquée à mettre en œuvre », regrette Emilie. « Je me demande si les gens n’idéalisent pas les bénéfices des Android dégooglisés », s’interroge pour sa part Gregory, journaliste en technologie, qui déplore que Google continue de mémoriser ses positions GPS. La grande majorité des utilisateurs interrogés s’accommode toutefois assez bien de ces limites. « Oui, il y a des contradictions, admet ainsi Matthieu. Mais être sur une ligne 100 % libre, ça reviendrait à se couper des communications avec les autres. Je préfère pratiquer un librisme des petits pas. »

Reste à savoir si Google continuera de tolérer Aurora et MicroG, qui sont essentiels à de nombreux utilisateurs, si d’aventure la popularité de/e/et Iodé grandit. « Google a bien fait fermer Vanced cette année, une application qui diffusait des vidéos YouTube sans pub » remarque ainsi Julien, pour qui il n’est pas exclu que le géant américain décide un jour d’interdire ces deux briques précieuses. Interrogée à ce sujet, l’entreprise n’a pas donné suite.

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